Canada - Celui qui travaillait à Whitehorse (partie 1)
21 juil. 2018La saison d'hiver arrive, il est temps de trouver non seulement un logement mais également du travail pour profiter pleinement de l'hiver.
La recherche d'emploi n'est pas évidente, notamment pour moi qui n'ai pas un très bon niveau d'anglais.
Et pourtant, j'aimerais vraiment me trouver un emploi où je pourrais pratiquer la langue de Shakespeare.
De plus, nous tenons à respecter nos valeurs et convictions, et refusons de travailler pour certaines entreprises.
Alors que certains penseront que nous faisons nos difficiles, de notre point de vue, il s'agit davantage de respecter sa propre personne et ce qui nous entoure, tant qu'on peut encore le faire (l'esprit Colibri sommeille toujours en nous).
Cela veut dire que nous refusons les compagnies qui offrent le plus d'emplois à Whitehorse tels que Mc Donald, A&W, Starbucks, Tim Hortons et autres supermarchés Walmart et Superstore.
Nous ne refusons pas les “petits boulots” mais plutôt les grosses compagnies irrespectueuses de l'environnement et des populations.
Nous aimons mieux travailler pour des entreprises locales et responsables dans la mesure du possible.
Ce qui est extraordinaire au Canada, et particulièrement au Yukon, c'est que les employeurs laissent facilement la chance aux gens motivés et volontaires.
Quand bien même les postulants n'auraient pas les qualifications ou l'expérience requises, on leur propose de se former sur le tas. Et ça c'est plutôt cool .
Notre aventure yukonnaise promet d'être riche en expériences .
Poseur d'affiches
Depuis le mois de juillet 2017 Guigui travaille avec l'association Franco-Yukonnaise. Il occupe le poste de poseur d’affiches qui mettent en avant les évènements francophones qui ont lieu à Whitehorse. C'est un travail sur appel qu'il fait en tant qu'indépendant et de façon ponctuelle (en moyenne une fois par semaine ou toutes les deux semaines).
Ce n'est pas un travail compliqué ni très passionnant mais c'est bien payé et absolument pas contraignant alors c'est un bon moyen de gagner quelques sous sans trop se fatiguer .
Restauration
Le 28 août 2017, après avoir effectué maintes et maintes recherches d'emploi, nous nous faisons tous les deux embaucher dans un restaurant japonais situé sur Main Street, la rue principale du centre ville de Whitehorse.
Guigui, qui parle mieux anglais que moi, est au service, tandis que j'occupe le poste à la plonge en cuisine.
Le rythme est assez soutenu (nous travaillons plus de 50h par semaine les deux premières semaines) mais ce n'est pas ce qui rend le travail difficile. Non, c'est plutôt l'ambiance, particulièrement en cuisine, qui est assez insupportable.
Le restaurant est tenu par une chinoise vivant au Canada depuis trente ans (vingt ans à Vancouver et dix ans à Whitehorse) mais qui n'est pas capable d'aligner plus de quatre mots en anglais.
Au début, on se demande comment elle fait pour tenir une entreprise à Whitehorse sans savoir communiquer en anglais, ni même en français. Après tout, ce sont les deux langues officielles du pays et principalement parlées au Yukon.
Très vite nous comprenons qu'elle ne cherche pas spécialement à s'intégrer et qu'elle fait plus ou moins partie de la mafia chinoise de Whitehorse.
Elle n’embauche que des chinois, ainsi elle n'a pas de problème pour communiquer et peut les exploiter à sa guise en leur promettant en bout de ligne un permis de travail et surtout une résidence canadienne.
Elle les paye au forfait pour ne pas payer leurs heures supplémentaires, les fait travailler parfois dix à quinze jours à la suite sans journée de repos, et les héberge tous dans une maison secondaire, ainsi elle les a toujours sous la main. Et comme elle ne leur fait payer qu'un faible loyer, ces pauvres employés sont un peu forcés d'accepter ces conditions, tant ils espèrent obtenir la résidence permanente canadienne.
Évidemment, nous concernant Guigui et moi, nous ne subissons pas les mêmes conditions. Apprenant que nous vivons dans notre van, la patronne nous propose de loger dans le sous-sol de sa maison mais nous déclinons son offre. Devenir esclave, merci mais non merci. Nous aimons mieux travailler notre souplesse dans le van.
Parfois, elle tente bien de nous arnaquer comme elle sait si bien faire avec ses employés chinois mais il est clair que ça ne marche pas avec nous. Nous sommes français, rappelons-le ! Et comme tout bon français qui se respecte, nous protestons pour faire respecter nos droits.
Voici quelques exemples de ses tentatives d'arnaque.
Au Canada, le premier lundi du mois de septembre est un jour férié partout dans le pays. En effet, c'est la fête du travail (notre 1er Mai en France). Cela veut dire que si l'on travaille ce jour-là, on est payé une fois et demi à deux fois plus selon les entreprises).
Guigui et moi travaillons donc en ce jour de 4 septembre et vérifions auprès de notre employeur qu'elle envisage bien de nous payer plus.
Et nous faisons bien de demander !
Guigui : dis-moi, aujourd'hui est un jour férié et c'est supposé être payé davantage ou récupéré. Comment tu procèdes au resto ?
La patronne : (en souriant) Oh no ! Ici c'est Chineese Style !
Guigui : heuu...mais ici on est au Canada donc c'est plutôt ”Canadian Style”.
Là, la patronne retire ce sourire de ses lèvres et dit à Guigui, sur un ton plus sérieux, qu'elle va se renseigner auprès de son comptable.
Guigui me revient avec cette information, qui me semble très imprécise. Elle va se renseigner à propos de quoi ? Si elle va nous payer davantage ou combien elle va nous payer en plus ?
Guigui ne le sait pas. Moi je trouve que la nuance est quand même importante.
L'importance d'utiliser des mots précis bordel !
Je vais la voir à mon tour.
Moi : dis-moi, Guillaume t’as parlé du fait qu'aujourd'hui est un jour férié…
La patronne : oui oui, je vais appeler mon comptable dès demain parce qu'aujourd'hui c'est férié.
Moi : oui, mais tu vas l'appeler pour quoi ? Pour lui demander si tu dois nous payer une fois et demi ou double ? Parce que de toute façon, tu dois nous payer plus, on est bien d'accord ?
La patronne : oui oui, je vais lui demander combien je dois payer parce que je ne m'en souviens plus…
Évidemment tu ne t'en souviens plus. Tu ne l'as peut-être même jamais su étant donné que tu n'appliques pas cette loi auprès de tes employés chinois…
Enfin bref, le message est bien passé et nous serons payé double (alors que c'était supposé être une fois et demi…) .
Une autre fois où nous travaillons un dimanche, les horaires sont quelques peu différents puisque le restaurant ouvre une heure plus tard, à midi au lieu de 11h.
Nous commençons notre journée de travail quand Guigui vient me voir à la plonge pour me confier que les collègues lui ont dit que le dimanche, puisque l'on commençait une heure plus tard, personne n'avait de pause.
Ce à quoi je réponds à mon p'tit cœur : “heuuu...j’crois pas non. Regarde-moi bien là parce que moi, j'aurai une pause. Pas question que je travaille de midi à 21h sans m'arrêter ! En plus, ce n'est pas légal. Au Canada, on a le droit à une pause après cinq ou six heures de travail. Tu fais ce que tu veux mon cœur mais moi, je prendrai ma pause, c'est certain”.
Et vers 15-16h, quand arrive le moment calme de la journée, je m'en vais voir la patronne pour lui demander, non pas si nous avons droit à une pause, mais combien nous pouvons prendre aujourd'hui. Là est toute la nuance .
Nous n'avons même pas besoin de négocier. Elle nous répond aussitôt que nous pouvons prendre une heure.
Je pense qu'elle a compris qu'elle ne ferait pas ce qu'elle veut des deux petits “blancs” fraîchement arrivés dans l'équipe .
En quittant le resto le temps de notre pause, l'un de nos collègues nous regarde, surpris : “oh, vous avez une pause ?!!! Vous êtes vraiment chanceux !”
Non mec, on n'est pas chanceux. C'est juste qu'on ne se laisse pas marcher sur les pieds.
Mais bon, là encore c'est culturel.
Nous savons tous que les français sont réputés pour râler et protester en permanence, ce à quoi je réponds souvent que si aujourd'hui nous avons autant d'acquis, c'est bien parce que nos ancêtres ont protesté pour obtenir ces droits.
À l'inverse, pour avoir voyagé une année en Asie dont un mois et demi en Chine, nous savons que le peuple asiatique n'est pas un peuple révolutionnaire. Ils ont plutôt tendance à accepter leur sort sans broncher.
C'est comme ça !
En attendant, nous obtenons ce qui nous revient de droit en montrant que nous ne sommes pas des pigeons.
Au bout de deux semaines de travail dans ce restaurant, je pète un câble. Pour Guigui qui est au service et qui a du contact avec la clientèle, ça ne se passe pas si mal mais pour moi qui suit en cuisine, c'est vraiment difficile car mes collègues chinois, parfaitement capables de parler anglais, ne font aucun effort pour communiquer avec moi. Ils ne font que se parler et blaguer en chinois.
Franchement, c’est vraiment dur psychologiquement de passer 9h par jour devant un évier, absolument seule, sans jamais parler avec les collègues parce que ces derniers préfèrent rester entre eux.
Toutes ces heures que je passe seule à nettoyer la vaisselle me font me poser des questions du genre : “mais qu'est-ce que je fous là ? Est-ce que je vais vraiment passer mon hiver dans à travailler sans relâche dans une ambiance aussi merdique ? Non, je ne pense pas”.
C'est pourquoi, après avoir travaillé deux semaines à temps plein, je demande à la patronne si elle est d'accord pour que je ne fasse que les services du midi, de 10h30 à 15h maximum. Je lui explique mes raisons, notamment que je trouve inacceptable et très irrespectueux que les collègues se comportent ainsi en cuisine.
N'ayant personne d'autre à la plonge, elle accepte mon temps partiel, mais même en ne travaillant que les demi-journées, l'ambiance m'est vraiment insupportable.
Après trois semaines de travail dans ce restaurant, je quitte l'emploi et me concentre sur d'autres activités.
Comme je le dis souvent, je ne suis pas venue au Canada pour me sentir mal et vivre une vie merdique comparée à la France. J'aimais beaucoup notre vie en France. Le Canada n'est qu'un chapitre de plus dans le livre de notre vie.
Guigui, lui, ne vit pas la même situation que moi. D'une part il a un seuil de patience beaucoup plus élevé que le mien, ça c'est certain.
D'autre part, le poste de serveur lui permet de pratiquer son anglais (plutôt bon) avec les clients et d'acquérir une expérience dans le métier, expérience qui pourrait toujours servir dans la vie.
Il continue cet emploi à temps partiel, à raison de 25h par semaine car il sera vite occupé par d'autres emplois le reste du temps.
Professeure de fitness
En France, je suis prof de fitness. C'est mon seul et unique métier et il me manque terriblement.
L'hiver dernier au Québec, j'ai essayé de me faire une place dans le milieu du fitness au Saguenay mais malheureusement, bien que j'y ai appris une nouvelle activité, le fitness aérien, que j'ai adoré soit dit en passant, ce secteur n'a pas du tout la même popularité qu'en France.
Toutefois, je ne tiens pas à faire des généralités et ai envie de renouveler l'expérience au Yukon.
Je démarche donc les quelques salles de sport, présentes à Whitehorse, et décroche deux heures de cours par semaine dans l'une d'entre elles, nommée Better Bodies.
Le patron, Jim, est vraiment très sympa et me confie dès la mi-septembre (2017), l'animation des cours de zumba, une heure le lundi en fin de journée et une heure le samedi matin. Ce ne sont pas avec ces deux heures-là que je vais gagner ma vie mais c'est toujours mieux que rien.
Dans cette salle, je suis salariée et plutôt bien payée (beaucoup plus qu'au Québec).
Les cours se passent bien et les adhérentes sont sympas.
J'effectue mes cours en anglais, ce qui me permet de pratiquer un peu la langue.
Toutefois, je sens bien que même au Yukon, le fitness n'est pas aussi populaire qu'en Europe. Mes cours ont beaucoup de mal à décoller, et les cours de mes collègues ne sont pas tellement plus remplis. On dirait qu'ici, les gens préfèrent pratiquer la musculation aux cours collectifs.
Jim me rassure en me répétant sans cesse que c'est toujours difficile à l'automne parce que les gens profitent tant qu'ils le peuvent, des dernières belles journées lumineuses pour faire des activités en extérieur.
Philosophie que je comprends parfaitement car l'hiver est long au Yukon.
Malgré tout, des filles entendent parler de mes cours qui, paraît-il, sont super sympas, et en hiver, je réussis à fidéliser un petit groupe régulier de 8-10 femmes.
On danse et on décomplexe totalement sur des bonnes musiques entraînantes.
Bref, on s'amuse et on ne se prend pas la tête.
Début octobre, une autre salle de fitness, orientée uniquement sur les cours collectifs, me confient trois heures de cours par semaine : deux heures de LIA (aerobic chorégraphié) les lundi soir et mercredi soir ainsi qu'un cours de renforcement musculaire le samedi matin.
Dans cette organisation en revanche, je suis travailleur autonome et payée en fonction du nombre de personnes qui vient à mon cours.
La propriétaire de la salle ne faisant de la publicité que pour ses propres cours, il m'est difficile d'attirer du monde dans les miens.
Notre entente ne fonctionne pas. Je ne gagne pas d'argent et bloque bien souvent des créneaux horaires pour des cours qui n'ont pas lieu.
Je mets un terme à cet emploi au mois de décembre.
De plus, je sens que je pourrai avoir davantage de possibilités et d'ouvertures avec mon employeur Jim chez Better Bodies.
Et en effet, quelques mois plus tard, il me propose de récupérer une heure de cours le mercredi soir. Trop cool !
J'accepte volontiers et essaie de faire apprécier les cours de step chorégraphiés à mes clientes, un concept pas vraiment populaire au Canada.
Le freestyle n'est pas leur point fort. Ils utilisent encore le step comme moyen d'entraînement à la façon des années 90 . Personnellement, je trouve ça assez ennuyeux, mais ça, c'est parce que j'aime énormément les cours de step que nous donnons en France.
En tout cas, je suis bien contente de pouvoir exercer mon métier, ne serait-ce que quelques heures par semaine auprès d'une population anglophone .
Instructeur et instructrice de français
À partir de la fin du mois de septembre, Guigui et moi travaillons également avec l’Association Franco-yukonnaise comme instructeurs de français langue seconde pour les adultes.
À notre arrivée à Whitehorse, nous ne souhaitions pas vraiment travailler dans le milieu francophone le but étant de perfectionner notre anglais, mais les boulots anglophones nous sont difficilement accessibles, surtout pour moi qui ne maîtrise pas super bien la langue.
De plus, l’AFY (l'association franco-yukonnaise) est un organisme qui paie relativement bien ses employés et travailleurs autonomes, alors ça aussi, ça joue dans la balance.
Enfin, le poste d'instructeur de français auprès d'adultes est vraiment intéressant.
Les cours nous ont été attribués en fonction de nos disponibilités (du coup en soirée de 19h à 21h) et nous occupons le statut de travailleurs indépendants.
Guigui s'occupe de donner un cours de deux heures, une fois par semaine, à des apprenants de niveau avancé, tandis que suis en charge d'un cours de deux heures pour débutants ainsi que d'une heure et demi de conversation par semaine.
Nous trouvons ça assez incroyable de travailler dans un tel domaine alors que nous n'avons absolument aucun bagage en enseignement.
Nous sommes français, c'est juste. Et nous parlons relativement bien le français mais c'est quand même une autre affaire d'enseigner sa grammaire et sa conjugaison.
Toutefois, l'association nous fournit un guide de l'enseignant assez bien établi,avec des axes d'apprentissage de la langue selon le niveau que nous enseignons. Ce guide nous est vraiment d'une grande aide.
Guigui reste assez neutre quant à son épanouissement dans ce travail. Il aime bien enseigner mais sans plus. Il dit qu'il ne se sent pas l'âme d'un pédagogue. Il ne renouvellera pas l'emploi pour la saison d'hiver.
Quant à moi, je me régale à donner ces cours.
J'aime le français et la richesse de son vocabulaire. J’aime l'enseigner auprès d'adultes motivés et volontaires.
De plus, enseigner la langue de Molière à des débutants qui ne comprennent pas toujours tout ce que je raconte en français m'oblige parfois à leur donner des explications en anglais, ce qui me fait pratiquer la langue de Shakespeare de mon côté.
Un bel échange que je partage avec mes étudiants .
Je rencontre également plein de personnes sympas et intéressantes avec qui je garde un contact en anglais en-dehors des cours.
Les étudiants sont plutôt satisfaits de mon travail, de surcroît l'association franco-yukonnaise l'est également. Si bien que je me vois confier un deuxième cours débutants pour la saison d'hiver.
Je passe désormais de trois heures et demi d'enseignement par semaine à cinq heures et demie, et près de trois de préparation de cours rémunérées.
Au printemps, en mai et juin 2018, seules les séances d'une heure et demi de conversation sont offertes aux apprenants pour leur faire réviser et pratiquer le français avant la coupure estivale, et l'on m'en confie deux séances par semaine, de niveau débutants et débutants avancés.
L'enseignement du français comme langue seconde auprès d'adultes m’est véritablement une belle expérience. Certes je ne pratique pas mon anglais comme je le souhaiterais, mais je me découvre des compétences et un attrait dans l'enseignement, autre que sportif.
Merci le Yukon de donner la chance aux gens .
Livreur de journal
À partir de la mi-octobre, Guigui commence un nouveau travail à temps partiel, à raison d'un jeudi complet une semaine sur deux et d'une demie journée l'autre semaine sur deux.
Il distribue L'Aurore Boréale, le journal francophone du Yukon.
Au même titre que l'affichage, le travail n'est pas des plus passionnants mais il est bien rémunéré et permet également à Guigui de côtoyer pas mal de monde à Whitehorse.
En effet, son travail consiste à aller tous les jeudis matin récupérer les journaux livrés à l'aéroport à 8h45.
Puis il passe la journée à les distribuer dans différents lieux à Whitehorse (commerces, écoles, bureaux gouvernementaux, etc…).
Un emploi bien rémunéré et pas vraiment contraignant est toujours bon à prendre .
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